Présentation de A.F. Rodier

Urbaniste architecte de nouveaux quartiers, peintre à ses heures, voyageur, développeur à d’autres, François Rodier (nom d’artiste) a toujours privilégié des projets ou des réalisations sortant de la production ordinaire. Avec cet objectif permanent de retrouver une architecture qui serait aussi une œuvre. Il a construit ses ambitions autour de la dimension humaine du cadre bâti, avec des matériaux et des formes qui s’intègrent au paysage urbain. Retour sur le parcours d’un homme passionné qui nous présente dans ce livre la facette picturale de sa personnalité atypique

Anne Spire : C’est après le service militaire que votre carrière se dessine… Quel chemin vers l’architecture ?
François Rodier : À mon retour à la vie civile, j’ai décidé de préparer le concours d’entrée aux Beaux-Arts. En parallèle, je me suis inscrit dans un atelier préparatoire de dessin, la base incontournable du métier d’architecte… et j’ai réussi le concours !
Mais il fallait financer ces 6 années d’études. N’ayant ni héritage culturel, ni héritage financier, il a fallu que je me débrouille. Dans un premier temps, j’ai pris un poste d’animateur dans un centre aéré de La Courneuve, dans le département du 93, et j’y ai proposé la création d’un atelier d’arts plastiques. Bien que peu fréquente à l’époque, cette idée a rencontré un vif succès, faisant découvrir aux enfants un nouvel univers ! Dans les années qui ont suivi, j’ai effectué quelques stages dans des agences d’architecture. J’ai même eu la chance de travailler pendant 6 mois dans le premier bureau d’études de marketing urbain français, ce qui m’a notamment permis d’avoir une vision sociologique, économique et intellectuelle de l’aménagement urbain. Quelques mois avant l’obtention de mon diplôme, je me suis retrouvé responsable de la construction d’un centre commercial, dans l’agglomération dunkerquoise. Les hasards de la vie, les rencontres opportunes, m’ont conduit à gérer intégralement ce projet et à prendre mon indépendance. À peine sorti de mes études, j’ai été désigné responsable d’un projet d’une ZAC dans cette ville avec plusieurs années de travail assurées devant moi.

Anne Spire : En quoi ce premier chantier nordiste a-t-il été providentiel pour votre carrière ?
François Rodier : Il m’a permis de constituer une excellente équipe d’architectes et d’élaborer les fondements de ma démarche, notamment avec l’intégration de la brique dans nos projets. Il était vital, à cette époque, de réinventer un savoir-faire architectural en accord avec les attentes des habitants. Notre objectif était de redonner une dimension humaine au cadre bâti, de retrouver une continuité culturelle de l’architecture, et de privilégier des matériaux et des formes qui s’intègrent au paysage urbain régional. En proposant un projet de ZAC avec des prix maîtrisés, j’ai réussi à convaincre des gens importants, comme le maire de la commune, mais aussi des promoteurs, des entrepreneurs et surtout Marcel Naye, le directeur de l’Office HLM du Nord. Grâce à lui, j’ai notamment eu l’honneur d’être le premier architecte invité à l’annuel Congrès HLM. La chance a fait que j’y organisais une exposition d’architecture et que cela coïncidait avec la sortie d’un livre relatif à nos réalisations dans le Nord : Quand la matière devient forme, de Dominique Amouroux, aux éditions Graphites.
Le logement social, le seul secteur de la construction qui se libérait progressivement de la mainmise des grandes agences, devint l’un des champs privilégiés de nos recherches. Et l’utilisation de la brique, une petite révolution dans ce domaine, nous a permis d’être reconnu. Cette première expérience nordiste a donc été l’occasion de tisser des liens de confiance réciproques avec des élus, des maîtres d’ouvrage, des organismes sociaux ou des structures para-publiques qui nous ont ensuite confié régulièrement des commandes. En 3 ans, nous sommes devenus l’un des plus importants cabinets d’architecte de ce département ! J’ai compris à cette époque que le maire avait un rôle fondamental quant à l’avenir urbanistique de sa commune. C’est le seul avec qui « tu peux quitter le monde de ton petit bâtiment » pour avoir une véritable vision sur la ville. Et l’atelier d’architecture Atrium Studio vit de cette volonté permanente de lier urbanisme et architecture, ville et tissu urbain, ce que nous appelons « l’architecture urbaine ».

Anne Spire : Du Nord à la Région parisienne, comment les choses ont-elles évolué ?
François Rodier : Après avoir travaillé dans le Nord pendant une dizaine d’années, nous sommes venus en région parisienne. Mais ce qui a vraiment marqué notre progression, c’est lorsque nous avons gagné un concours pour la création d’une ZAC à Issy-les-Moulineaux, après que son maire, André Santini, est devenu député et ministre. Nous avons réalisé de nombreux projets pour cette ville. Ensuite nous avons également travaillé dans d’autres communes d’Ile- de-France, comme Rosny-sous-Bois, Eaubonne, Herblay, Isle-Adam, Saint-Ouen ou Montfermeil, …. Nous avons continué à valoriser les façades par la qualité des matériaux, non plus la brique mais la pierre, et à trouver le bon équilibre entre l’architecture classique et celle plus moderne en y incluant des courbes dans un style «Art-déco contemporain».

Anne Spire : Quelle est aujourd’hui la valeur ajoutée de votre atelier d’architecture ?
François Rodier : La particularité de l’agence, c’est qu’il y a toujours eu des gens particulièrement doués en dessin et en construction. Ce que nous avons toujours privilégié dans nos projets, c’est ce souci permanent d’harmoniser nos réalisations pour créer un paysage urbain à l’échelle du quartier. Nous sommes peu intéressés par l’idée de construire un « objet isolé », mais nous sommes passionnés par celle de réfléchir à un ensemble intégré. Et cette passion, je l’ai développé en m’entourant d’une équipe d’architectes formidables, dotée de spécialités différentes, et guidée par la volonté de créer une architecture qui serait aussi une œuvre d’art.

Anne Spire : Architecture, œuvre d’art… Aujourd’hui vous sortez un livre principalement dédié à la peinture. Comment en êtes-vous arrivé là ?
François Rodier : Quand je suis sorti de l’école d’architecture, je n’avais jamais fait de peinture. D’ailleurs, cela ne m’intéressait absolument pas. Notamment parce qu’il faut du temps pour apprendre tous les savoirs nécessaires à l’exercice du métier d’architecte. J’ai donc eu le désir, pendant mes périodes de repos, d’avoir une activité où j’étais seul et dans laquelle je n’avais plus besoin de convaincre qui que ce soit… Une activité où je n’avais surtout pas besoin de vendre ! Avec la peinture, je ne sais jamais où je vais et je ne veux surtout pas le savoir. Je suis capable de commencer une œuvre… et de la terminer 10 ans plus tard ! J’aime voyager. J’y puise une très grande inspiration. Je ramène des objets de partout et ne sais jamais ce que je vais en faire. C’est un véritable challenge et c’est ce que j’ai vraiment appris avec la peinture : essayer d’harmoniser des objets hétéroclites entre eux. En récupérant cette technique dans la réalité professionnelle, je parviens avec mon équipe à harmoniser le bâtiment que nous réalisons avec son environnement. Le dessin m’a appris les proportions. La peinture m’a appris à harmoniser les formes, les textures et les couleurs. Ce livre en est un témoignage.

Anne Spire : Avec un peu de recul, sur quelles valeurs fondamentales s’est construit votre parcours professionnel ?
François Rodier : J’ai toujours eu besoin d’être un peu orienté par l’imagination et de cultiver ma différence. Je crois aussi beaucoup aux rencontres. Certaines d’entre elles ont été providentielles, mais il faut savoir les entretenir. Si je devais donner des conseils, je dirais qu’il faut savoir rencontrer. Toute ma vie personnelle et professionnelle s’est façonnée autour des échanges, que ce soit en France ou à l’étranger. Les voyages ont d’ailleurs eu un impact très fort sur mes inspirations. De toute façon, nous sommes dans une société totalement mondialisée et il est fondamental de comprendre les différences pour bien vivre ensemble. Sur ce point, j’ai particulièrement apprécié les voyages organisés par le Medef International et l’Association des Maires d’Ile-de-France (Amif), que ce soit en Amérique latine, en Chine, au Maroc ou à Stockholm. Ils furent une occasion unique d’échanger nos savoir-faire avec des élus étrangers et des entrepreneurs, puis de tirer un savoir des expériences que d’autres pays ont déjà réalisées avant nous. Je suis un éternel étudiant, curieux de toute source de savoir. C’est aussi là-dessus que j’ai construit mon art de vivre.